C’est avec une belle unanimité que notre nomenklatura a soutenu Benjamin Griveaux : « La vie privée est sacrée y attenter c’est mettre la démocratie en péril ! ». Bien entendu, dans le droit fil de la loi Avia on n’a pas manqué de proposer de réguler internet et les réseaux sociaux. L’anonymat en particulier a semblé tout à fait intolérable à nos marquis et leurs valets, même si ceux qui ont diffusé la vidéo que fit le fringant Benjamin de son vit pendant qu’il se masturbait n’ont pas agi anonymement. On a aussi demandé l’expulsion immédiate de Piotr le Russe maboul, celui qui serait à l’origine de cette odieuse tentative de déstabilisation de notre démocratie. Même Mélenchon le conducator bolivarien, a formellement interdit à ses troupes d’utiliser l’ignoble vidéo.
L’onanisme de Griveaux aura au moins eu le mérite de souder la classe politique dans la défense de ses intérêts et de la révéler pour ce qu’elle est. On avait déjà vu beaucoup de monde s’émouvoir du sort qui fut réservé à DSK pour avoir tenté de culbuter une lingère dans sa chambre d’hôtel. La gueuse, au lieu de se sentir honorée, s’était plainte de l’assaut. On sent nos maîtres très à cran sur la question dès qu’il ne s’agit plus de chanter les louanges de leurs performances de séducteurs, ou de se féliciter de notre ouverture d’esprit en ce qui concerne la bagatelle.
Je suis absolument d’accord avec mes compatriotes chacun fait ce qu’il veut de ses parties génitales du moment que ça ne contrevient pas à nos lois. Pas question d’aller sodomiser des petits Marocains en douce même si de grands esprits se sont adonnés à la chose autrefois, pas question de séduire des oies blanches de moins de seize ans, et puis pas touche à la cocaïne pour pallier les défaillances qu’accompagne inévitablement le vieillissement. On imagine bien que nos élites ne sombrent pas dans de telles turpitudes, que ce sont tous des gentlemen, parfois un peu ardents, mais toujours corrects.
La question qui me taraude alors est de savoir pourquoi une telle fébrilité se fait sentir dans leurs rangs. Claude Goasguen s’est ému d’être à la merci de n’importe qui : Tu quoque Claude ? Tu te mets en scène et envoies tes oeuvres à tes partenaires ? Non ce n’est pas possible, et si ça l’était qu’en aurais-tu à faire après tout ? Ce ne serait jamais qu’un désagrément passager et tes tourmenteurs seraient vite punis, il n’y a qu’à voir le zèle avec lequel notre police a arrêté les coupables (comme nous aimerions être protégés de la sorte et non pas tabassés, mutilés ou laissés à la merci des barbares). À moins, à moins, qu’il n’y ait autre chose. Peut-être que l’image de respectabilité que vous offrez aux Français pour gagner leurs suffrages, se fissurerait-elle, si vous deviez mettre l’image que vous nous offrez en accord avec vos actes ?
Comment se fait-il que Griveaux ait abandonné si vite ? Je suis bien d’accord c’est désagréable, vraiment désagréable, de voir son intimité dévoilée devant tous, mais Griveaux n’était pas un perdreau de l’année, son intimité il savait la vendre le bougre. Quand on lit dans Paris-Match :

«Il n’y aura plus le concert des ministres, papa ?» Une formule enfantine de sa fille a suffi pour le désarmer : chez les Griveaux, le sens de la formule se cultive dès le plus jeune âge.

C’est bien qu’il utilise sa fille visiblement encore très jeune pour se promouvoir. Je ne veux pas trop en faire, mais ça engage de faire une chose pareille. On imagine que chez les Griveaux la famille ça compte, on n’imagine pas que le père envoie par SMS une vidéo de son sexe filmé pendant qu’il se masturbe. Il y a un sacré hiatus entre l’image vendue par Paris Match et celle envoyée à la petite amie de Piotr qui a balancé ça sur internet. Voilà la raison de son abandon. On n’imagine pas un papa aimant et responsable envoyer sur une messagerie ouverte à tous vents des images de son trois pièces cuisine. C’est tombé dans les pattes de Piotr ça aurait pu aussi atterrir chez de gentils djihadistes, ou, puisque ça semble l’obsession du moment chez les camarades du FSB qui aussi bien les uns que les autres auraient su en faire bon usage, c’est en fait une chance que ce soit arrivé chez Piotr. Peut-être que sur le long terme Griveaux n’était pas un très bon cheval et qu’il valait mieux rigoler un peu tant que la chose pouvait encore servir. Quant au bon père de famille a-t-il pensé que sa fille pouvait tomber sur la chose ? Ses simagrées sur les valeurs familiales sont absolument écoeurantes vues sous cette lumière crue. Ce que l’on demande à ceux qui sont en charge des affaires de l’État, comme à ceux qui sont chargés de famille, c’est d’être prudents. On ne peut faire confiance à un imprudent, cela est vrai aujourd’hui comme ça l’était dans l’antiquité.

Griveaux est un inconséquent gonflé d’hubris, un con selon Serge July. Doit-on restreindre la liberté d’expression de tous parce qu’un pauvre type s’est laissé griser par son pouvoir ? C’est une telle mesure qu’envisagent certains de nos maîtres, et cela interroge. Quand Claude Goasguen s’inquiète d’être à la merci de n’importe qui cela veut-il dire qu’il est comme Griveaux et DSK un imprudent et qu’il craint que quelques cochonneries remontent à la surface ? Craint-il que le bon temps où il était possible, de faire appel impunément, comme DSK, aux bonnes oeuvres d’un Dodo la Saumure soit révolu, et que le moindre gueux puisse aujourd’hui balancer des affaires douteuses sur le Ouèbe ?

Cette unanimité de la nomenklatura et de ses valets est certainement plus dommageable à la démocratie et la République que la possibilité de se cacher derrière un pseudonyme sur les réseaux sociaux. Ce qu’elle montre ainsi c’est qu’elle craint le peuple, qu’elle craint d’être mise à nu, qu’elle craint de ne plus pouvoir contrôler l’information grâce à une caste journalistique irrémédiablement compromise. La protection de la vie privée est fondamentale, mais il n’est plus admissible que des politiciens l’utilisent pour tromper leurs électeurs. En ce sens Piotr n’a pas tout à fait tort, cette comédie du pouvoir est écoeurante. Il n’est plus admissible non plus que cette caste veuille nous priver du droit de nous exprimer, l’anonymat est essentiel, nous n’avons pas comme ces belles gens des policiers pour nous protéger, des avocats puissants pour nous défendre : les gens qui ont été licenciés pour racisme pour s’être teints le visage en noir en témoignent, l’État a-t-il défendu Mila quand elle fut menacée de mort ? Cet anonymat est de toute façon une protection bien précaire, la grande majorité des internautes a dû fournir un numéro de téléphone pour s’inscrire, il faut être un professionnel pour réellement être anonyme sur Internet. Comme d’habitude la nomenklatura sera forte avec les faibles et faible avec les forts.

Il n’est plus admissible que des incompétents dominés par l’avidité et l’orgueil nous mettent en danger en prêtant le flanc au chantage. Ce n’est pas parce que ces comportements ne sont pas nouveaux qu’ils doivent perdurer. Notre personnel politique ne peut se prévaloir de la protection de la vie privée pour dissimuler des turpitudes qui mettent la collectivité en danger. Leur train de vie est somptueux, leur pouvoir immense, ils doivent accepter les contraintes qu’impose leur position, se conduire, en particulier, de façon exemplaire au moins durant le temps de leur mandat.

En attendant, vous les guerriers du bien qui êtes venus vous indigner et soutenir le minable Griveaux gardez pour vous vos sermons emplis de moraline, ce n’est pas le droit à l’intimité qui a été atteint mais le droit des puissants à se moquer du peuple. Ce n’est pas la démocratie qui a été mise en danger mais la licence de tout faire pour la classe dirigeante. Ce n’est pas le retour de l’ordre moral auquel nous assistons mais au dévoilement de la déliquescence de nos prétendues élites.

Written on February 16, 2020